"I've seen the world from every possible angle. This cruel, ridiculous, beautiful world."
▬ HISTOIRE :Leur fille avait disparue. Une fois de plus.
Ellen Brook parcourait sa petite maison de long en large depuis une heure au moins. Elle avait cherché partout. Absolument partout. Salon, chambres, cuisine, salle de bain.. - Tout avait été passé en revu une bonne dizaine de fois au moins. La petite Alyss semblait s'être volatilisée.
Cette même Alyss qui avait été la raison même d'une explosion de joie chez les Brook cinq ans plus tôt de par sa naissance.
Cette même Alyss qui avait appris à courir avant d'apprendre à marcher.
Littéralement.
Sans être casse-cou, elle avait le don de faire courir ses parents avec elle. Et Ellen savait apprécier chaque moment passé avec sa fille malgré les trop nombreuses fois où elle s’était inquiétée pour elle.
Son mari avait tout lassé derrière pour elles et son travail. Son pays natal, l'Angleterre. Sa famille. Ses amis. Il était souvent en déplacement pour son boulot, et rares étaient les fois où il pouvait apprécié une semaine de vie familiale. Alors, bien sûr, chaque seconde passée avec sa femme et sa fille était un vrai bonheur pour lui. Bien que ce genre de moment, ces moment où Alyss venait à disparaître sans prévenir, avaient véritablement le don de l'irriter.
Alyss était très éveillée malgré son jeune âge. Éveillée, et curieuse de tout. Un trait de caractère qui émerveillait Ellen mais qui, au contraire, avait le don de vite faire perdre patience à son père. Comment une enfant de cinq ans à peine pouvait poser autant de questions et discuter chacune de ses paroles ? Quand bien des fillettes jouaient surtout avec des poupées à cette âge-là, Alyss, elle, semblait avoir des hobbys complètement différents. Comme questionner ses parents à chaque ordre prononcé, bien sûr.
Consciente du caractère de sa fille, Ellen se contentait juste de rire à chaque plainte de son époux. Pour ensuite répondre aux interrogations de la fillette. Cette fois, elle savait où trouver celle-ci. Presque instinctivement. Le sourire aux lèvres, elle sortit pour rejoindre quelqu'un qui devait sans doute encore être en train de se poser une multitude de questions.
Quelque part dehors, une enfant observe le ciel. Inconsciente du chahut qui règne chez elle. Silencieuse. Jusqu'à ce qu'une question à laquelle elle semble avoir réfléchi ne s'échappe :
- Pourquoi les nuages vont dans un sens et pas dans l'autre ?
A côté d'elle, son lapin en peluche ne répond que par un silence. Presque vexée par l'absence de réponse, elle fait la moue. Peut-être le vent lui glissera-t-il une réponse un jour. Peut-être.
• • •
Elle avait huit ans quand elle avait pour la première rencontré la mort. Huit ans, peut-être neuf. C'était un matin d'hiver, et la neige franchement déposée au sol l'avait incitée à sortir. Sans montrer d'hésitation ou d'effort, elle avait grimpé sur le toit de sa maison. Rapide et agile. Elle avait l'habitude, aussi cet exercice ne fut-il qu'une formalité pour parvenir à son but. Elle n'avait peut-être pas de chaussures, et sans doute était-elle encore dans sa nuisette de nuit favorite, mais le mordant du froid lui parut plus agréable qu'agressif. Elle avait ensuite commencé à enfoncer ses pieds dans la neige, poudreuse et délicate, riant doucement dans le silence.
Son pied glissa.
Et Alyss tomba. D'une chute qui ne dura sans doute que quelques secondes. Mais lui parut interminable.
L'impact au sol lui aurait sans doute semblé plus douloureux encore si la neige n'avait pas été là. Tout comme le ciel d'hiver grisâtre lui aurait paru plus clair si sa conscience ne s'était pas laissée consumer par les ténèbres.
Elle s'était réveillée des heures plus tard. L'esprit encore engourdi, et le corps trop lourd pour permettre un quelconque mouvement. Elle avait perçu la voix douce de sa mère, puis ses gestes empreints de légèreté. Et, enfin, l'environnement froid et blanc de la chambre d’hôpital. Semblable à la neige, mais pourtant si différent. En de si nombreux aspects.
Elle avait eu de la chance. La chute ne lui avait donné aucune séquelle, juste une fracture à la jambe.
Elle avait huit ans, ce jour-là. Peut-être neuf. C'était la première fois qu'elle avait connu le froid et le silence de la mort.
• • •
Alyss n'avait jamais apprécié intégrer le système éducatif obligatoire pour tous les enfants de son âge. Elle détestait être enfermée entre quatre murs. Elle détestait qu'on la force à faire ce qui ne lui plaisait pas. Et elle détestait les contraintes que les autres enfants imposaient aux autres au nom de l'amitié. Une journée avait suffi pour qu'elle s'en donne un avis. Et, au bout de sept années consécutives, il n'avait pas changé.
Voyant la mine renfrognée de sa fille, Ellen lui ébouriffa les cheveux dans l'espoir de lui tirer un sourire. En vain. La petite se contenta juste de plisser son nez.
- Dis maman... Pourquoi les autres gens imposent-ils des limites à ceux qu'ils aiment ?
Ellen s'arrêta net dans son activité. Étonnée par la question de sa fille. Elle n'avait que onze ans, mais se montrait parfois trop réfléchie. Souriant tendrement à sa fille, elle s'installa à ses côté.
- Hm... Sans doute parce qu'ils tiennent trop à eux. Et qu'ils ont trop peur de les voir partir. Les limites sont comme une sécurité qu'ils imposent pour leur bien.
- Je n'aime pas les limites.
Alyss ne chercha à s'expliquer. Les mots lui manquaient encore cruellement pour son jeune âge. Mais elle était sûre d'une chose : jamais elle ne se laisserait emprisonner par qui que ce soit. Sa mère, comprenant que ce silence était le résultat d'une réflexion intense, se tut.
- Dis... Tu me promets de ne jamais m'imposer de limite, hein ?
- Eh bien, ça dépend. Rappelle-toi que je n'aime pas quand tu grimpes n'importe où ! plaisanta sa mère avec un rire léger.
La remarque parut vexer la fillette qui souffla et croisa ses bras.
- Oui, bah ça ne veut pas dire que je ne recommencerai pas... Alors, promis ?
Promis.
Satisfaite, Alyss se laissa bien vite glisser dans ses songes. Comme apaisée.
• • •
- Alyss !
Cachée sur le toit de sa maison, une fillette attendait. Méfiante et attentive. L'appel qui avait résonné jusqu'à elle l'avait presque effrayée. Presque. Elle s'inclina légèrement, gardant une prise ferme sur les tuiles rouges du toit. Plus loin en bas, son père attendait lui aussi. Le petit sourire ornant son visage rassura l'enfant.
- Alors demoiselle, prête à descendre ?
- Certainement pas ! Tu vas me forcer à porter cette horrible jupe jaune ! protesta Alyss.
- Rassure-toi, ce n'est pas pour ça que tu dois venir.
Alyss considéra la situation, les yeux fixés sur un point invisible. Finalement, hésitante, elle répondit :
- ... Promis ?
- Promis.
Lentement, comme si ses geste gardaient encore une trace de vigilance, elle commence à descendre. Par des mouvements mécaniques et habitués, elle se retrouva à terre en une minute à peine. Doucement alors, comme portée par une brise, l'agréable odeur d'une tourte tout juste préparée lui chatouilla les narines. Pourtant, l'enfant fronça des sourcils.
- Je n'aime pas les tourtes...
- Je te préparerai quelques brochettes de fraises au chocolat pour le goûter, promis, tenta de la rassurer son père.
Contente de cette réponse, elle tourna la tête comme si la conversation la désintéressait déjà. Tous deux commencèrent alors à rentrer et, alors qu'ils s'apprêtaient à franchir le seuil de la baie vitrée donnant au salon, Alyss attrapa soudainement la manche de l’aîné qu'elle secoua vivement.
- Papa !
L'intéressé tourna la tête vers elle, lui accordant toute son attention.
- Tu repars bientôt, dis ?
Le regard qui s'était fait attentif s'embruma. Sa fille n'était pas dupe. Il le savait et l'avait vite compris. Tout comme elle se montrait incroyablement compréhensive et mature quand ce même sujet était abordé. Il aurait adoré passer plus de temps avec elle et sa femme mais il savait cela impossible à cause de son travail. Néanmoins, il laissa un sourire s'étendre sur son visage alors qu'il ébouriffait la tignasse foncée de sa fille unique.
- Ne t'en fais pas, je te jure d'être là pour Noël !
- Comme tous les ans ! La prochaine fois, je te ferai montré toutes mes bonnes notes en anglais, comme tu me l'as appris !
Il était claire qu'Alyss avait profité de son héritage anglais – chose évidente quand on voyait son, ainsi que de son père pour se perfectionner dans la langue. Si les difficultés grammaticales arrivaient toujours, elle avait un accent remarquable à son âge et de très bonne bases également. Résultats certains de ses longues heures passées à harceler son père pour qu'il ne lui parle qu'en anglais uniquement.
• • •
Elle n'avait jamais réfléchi au nombre de fois qu'elle avait couru dans sa vie. Jamais. Mais une chose était sûr. Elle adorait le vent de liberté qui soufflait en elle chaque fois que cela arrivait. Courir, sauter, grimper. Elle ne semblait se permettre le repos que lorsque ses muscles fatigués ne lui demandaient merci. Toujours à se dépasser. Dépasser le monde ne la mènerait à rien. Quel objectif aurait-elle ensuite ? Alors elle se dépasserai elle-même. Encore et encore.
Grimper sur un toit était une formalité. Elle le faisait depuis qu'elle approchait ses sept ans. Les façades, en revanche, pouvaient se montrer plus exigeant. Elle n'avait pas encore une maîtrise parfaite de l'escalade et apprenait par elle-même malgré ses treize ans. Plusieurs fois, elle était tombée. Autant de fois s'était-elle relevée.
Souvent en hostilité avec les forme d'autorité les plus sévères, elle imposait bien souvent sa volonté et sa liberté aux autres. Pour échapper à toute forme de captivité. Il était dur de l'apprivoiser, même ses parents semblait avoir eu du mal. Cependant, elle les respectait parce qu'ils respectaient son besoin d'espace et d'indépendance.
Perchée à la cime d'un arbre, Alyss écoutait. Elle écoutait le vent qui murmure dans son oreille, le chant de la pluie tombant sur sa peau. Le temps passait, et les lueurs nocturnes faisaient déjà leur apparition.
Aussi silencieuse qu'une ombre et insaisissable qu'une rêve, elle se glissa dans la nuit.
• • •
Elle n'appréciait pas particulièrement que l'on lui répète la même question plusieurs fois de suite. Et tout spécialement si le sujet ne l'intéressait guère. Alors, bien sûr, quand on lui demandait ce qu'elle avait prévu de faire plus tard, c'était l'apothéose. C'était bien l'un des derniers sujet qu'elle abordait. Parce que tout simplement inintéressant et inutile selon elle.
Alyss ne se sentait pas faite pour le futur auquel tous les jeunes de son âge semblaient se préparer. Ils avaient sans doute une idée déjà toute faite, et c'était tant mieux pour eux, mais elle, elle n'avait strictement aucun intérêt dans un quelconque corps de métier. Et pour une raison toute simple. Elle savait qu'elle y perdrait l'une des choses qui lui étaient plus précieuse en ce monde.
Sa liberté.
Elle serait enfermée dans une routine. Une routine qui ne lui conviendrait sûrement pas. Trop banale et trop répétitive. Alors, évidemment, la solution de la fuite lui était vite venue à l'esprit. Fuir ce futur, fuir cette routine. Fuir. Partir et découvrir. Très loin.
C'est ce qu'elle pensait en tout cas faire un jour. Parce qu'elle n'était pas faite pour rester à un même endroit dans une même situation toute sa vie. Elle avait profondément besoin de changement et d'indépendance.
Alors, un jour, la jeune fille s'envolerait.